Nature is Healing
[img c]
Guilhem Prat est un designer graphique et artiste qui travaille seul ou à plusieurs avec au centre l’idée de lire et de donner à lire, d’écouter ou faire écouter, pour ne plus forcément penser en termes de productions (visuelles, textuelles, sonores) mais plutôt de regarder vers comment celles-ci circulent, communiquent et existent dans notre environnement contemporain. Diplômé en Communication graphique de la Haute école des arts du Rhin à Strasbourg en 2021, il a passé une année en tant que coordinateur de projet chez *Duuu radio. Son travail s’articule autour du geste de publier, de lectures, d’objets imprimés, d’éléments codés et d’installations.
‘Nature is Healing’ est un projet de recherche photographique réalisé au printemps 2020 [1] dont la création même de l’image devient un processus pour déplacer le regard. Il tente de considérer l’Intelligence Artificielle comme un témoin pour les autres Intelligences qui nous entourent également, avec une sélection de 32 images qui révèle ainsi les assemblages ouverts de nonhumains, vivants et non vivants, et leurs enchevêtrements pour une quelconque reconnaissance d’un signe de vie.
Pensé lors du premier confinement, ‘Nature is Healing’ fait directement référence aux flux de publications qui sont apparues sur les réseaux sociaux à cette période, d’une nature qui reprendrait ses droits suite à l’absence d’activité humaine. Les images se multipliant et se propageant, les fausses vérités sont devenues virales. En effet beaucoup de ses images étaient en réalité trompeuses, erronées, ironiques ou juste absurdes.
L’image comme virus
Nature is Healing, we are the virus
pouvait-on lire
Nature is Healing, we are the virus
est un meme.
C’est dans ce contexte d’image viral de la vie sauvage, d’écran et d’absence de l’humain, que je me suis intéressé aux images de pièges photographiques. Des images prises par un appareil photo à détection de mouvement pour capturer l’image de la faune de manière automatique.[img.b] Ce procédé photographique souligne que dans la culture visuelle contemporaine, être capable de voir directement depuis l’oeil humain est devenue un cas particulier de la vision. Certaines images ne sont plus produites par des humains, tout comme elles ne sont parfois plus destinées à être observées par un oeil humain, mais directement par des machines. No human in the loop, la présence humaine dans la boucle n’est plus nécessaire. C’est dans cette idée d’écosysteme du vivant et de la machine sans la présence humaine que j’ai voulu produire des images en limitant mon intervention, rapprochant la machine et l’espèce animale. J’ai en premier lieu rassemblé à l’aide d’un programme informatique et de manière automatisée, un grand volume d’images récupéré depuis un site de recensement de la faune (ce processus s’appelle le scrapping) Le geste du scrapping souligne ici l’énorme ressource nécessaire pour faire fonctionner la machine, et les photographies de nature accumulées deviennent une métaphore de la lourde dépendance de la technologie sur son environnement, terrestre et énergétique notamment. Ces 6000 images constituent un jeu de données (dataset) qui va permettre d’entraîner un modèle de Machine Learning. Les images enseignent la machine à voir les choses, celle-ci génère ensuite ses propres visions. L’image comme donnée. À l’aide du machine learning, j’ai tenté de créer de nouvelles chimères, d’animaux qu’on ne voit pas, d’organismes artificiels qui prennent vie, des images qui se contaminent. [img.c] J’ai pour ce faire utilisé RunwayML, une application qui ne nécessite aucune expérience de codage et est capable d'exécuter des modèles puissants de machine learning sans nécessiter de matériel important. En réalité dans ce processus de création, j’ai réalisé par la ensuite que mon intérêt ne s’est pas tant concentré sur les images obtenues in fine, mais sur une forme de geste quasi-extractiviste de l’image comme donnée nécessaire pour produire des images.
des images pour produire des données
des données pour produire des images
des images pour produire des images
From my cave,
my screen showed me
a misleading and radiant wildlife,
made by machines,
dreamed by humans.
[1] Ce projet est une expérimentation visuelle conçue dans le cadre de mes études en Communication graphique à Strasbourg et s’est déployé autour d’un site web, et d’une installation comprenant un lit de camp, une projection, et une édition imprimée en 5 exemplaires.
Boucle vidéo de 30 secondes
C’est dans ce contexte d’image viral de la vie sauvage, d’écran et d’absence de l’humain, que je me suis intéressé aux images de pièges photographiques. Des images prises par un appareil photo à détection de mouvement pour capturer l’image de la faune de manière automatique.[img.b] Ce procédé photographique souligne que dans la culture visuelle contemporaine, être capable de voir directement depuis l’oeil humain est devenue un cas particulier de la vision. Certaines images ne sont plus produites par des humains, tout comme elles ne sont parfois plus destinées à être observées par un oeil humain, mais directement par des machines. No human in the loop, la présence humaine dans la boucle n’est plus nécessaire. C’est dans cette idée d’écosysteme du vivant et de la machine sans la présence humaine que j’ai voulu produire des images en limitant mon intervention, rapprochant la machine et l’espèce animale. J’ai en premier lieu rassemblé à l’aide d’un programme informatique et de manière automatisée, un grand volume d’images récupéré depuis un site de recensement de la faune (ce processus s’appelle le scrapping) Le geste du scrapping souligne ici l’énorme ressource nécessaire pour faire fonctionner la machine, et les photographies de nature accumulées deviennent une métaphore de la lourde dépendance de la technologie sur son environnement, terrestre et énergétique notamment. Ces 6000 images constituent un jeu de données (dataset) qui va permettre d’entraîner un modèle de Machine Learning. Les images enseignent la machine à voir les choses, celle-ci génère ensuite ses propres visions. L’image comme donnée. À l’aide du machine learning, j’ai tenté de créer de nouvelles chimères, d’animaux qu’on ne voit pas, d’organismes artificiels qui prennent vie, des images qui se contaminent. [img.c] J’ai pour ce faire utilisé RunwayML, une application qui ne nécessite aucune expérience de codage et est capable d'exécuter des modèles puissants de machine learning sans nécessiter de matériel important. En réalité dans ce processus de création, j’ai réalisé par la ensuite que mon intérêt ne s’est pas tant concentré sur les images obtenues in fine, mais sur une forme de geste quasi-extractiviste de l’image comme donnée nécessaire pour produire des images.
des images pour produire des données
des données pour produire des images
des images pour produire des images
From my cave,
my screen showed me
a misleading and radiant wildlife,
made by machines,
dreamed by humans.
1 y
2 yoyo
[img d] Depuis « Nature is Healing », site web, 2020.
Par l’image, déplacer notre regard, non pas pour se demander de la véracité de celle-ci, mais plutôt pour appuyer son potentiel fictionnel afin d’imaginer d’autres possibles. L’image comme force narrative. [img.e] Une nature que la machine tente de mettre en lumière sans réussir à la reproduire, replaçant l’humain face à ce qui l’entoure dans son contexte écologique et technologique. Les images produites reflètent les mots de l’artiste et écrivain James Bridle dans son film ‘Se ti Sabir’, qui rappelle qu’« au moment même où nous créons ces nouvelles formes d’intelligence, nous commençons aussi à reconnaître d’autre forme d’intelligence non-humaines issue de notre environnement terrestre.» ‘Se ti Sabir’ se concentre sur des questionnements qui sont inhérents à mon sens à l’Intelligence Artificielle, tel que le langage, l'intelligence et notre relation avec les nouvelles technologies et les espèces non humaines, m’amenant à repenser la forêt cybernétique de Richard Brautigan où « les mammifères et les ordinateurs vivent ensemble dans une harmonie de programmation mutuelle »2. ‘Nature is Healing’ s’inscrit dans une pensée postanthropocentrique actuelle où par le processus créatif, j’ai tenté de considérer l’Intelligence Artificielle comme une nouvelle voix qui croise celle d’autres Intelligences de notre écosystème,
l’image générée par ordinateur devenant un symbolisme terrestre.
[img f] Capture d’écran extraite de Se ti sabir, James Bridle, video, 19 min, 2019.
« Après six cents millions d'années de séparation avec une forme d'intelligence, nous sommes sur le point d'en rencontrer une toute nouvelle. L'intelligence artificielle, ou machine, arrive. C'est pour bientôt, et nous ne la comprendrons pas vraiment mieux que nous comprenons la pieuvre. Nous sommes sur le point de créer de nouveaux extraterrestres parmi nous. Nous n'avons aucune idée de ce qu'ils vont nous faire. Et toutes les façons dont nous pensons actuellement à eux - comme intercesseurs, comme outils, comme appareils - qui sont utilisés pour nous séparer les uns des autres, pour remplacer nos facultés, pour nous surpasser, sont la mauvaise façon de penser à eux. Ils vont nous nuire parce qu'ils vont rejoindre la longue lignée d'outils technologiques qui ont été utilisés principalement pour l'oppression au cours des cent, sinon mille, sinon six cents millions d'années passées. Je crois qu'il doit y avoir une autre façon de penser ces technologies. Penser aux intelligences artificielles et aux machines moins comme des intercesseurs, moins comme des serviteurs, des outils ou des armes, mais comme d'autres nouvelles voix. Les considérer comme un ajout à la cacophonie des voix et des intelligences non humaines qui nous entourent. Il me semble significatif que juste au moment où nous créons ces nouvelles formes d'intelligences presque jouets - artificielles seulement dans le sens où elles sont nouvelles et n'ont pas encore fait leur chemin dans notre conscience - juste au moment où nous commençons aussi à reconnaître l'intelligence des créatures non humaines. Nous commençons à voir dans les comportements des céphalopodes des types de pensée et de connaissances complexes qui méritent d'être qualifiés d'"intelligents". Et encore plus profondément dans les écosystèmes, nous comprenons la façon dont les arbres communiquent entre eux, la façon dont les plantes diffusent des messages complexes à travers de profonds réseaux de communication chimique et phéromonale. Il apparaît de plus en plus que l'intelligence n'est pas simplement limitée aux animaux ou aux plantes individuelles, mais qu'elle est peut-être elle-même une sorte de réseau, qui existe sous la forme de connexions entre les choses, de ponts et de communications entre elles, plutôt que de mouvements purement réflexes au sein d'un cerveau individuel. Voilà donc mon espoir pour l'intelligence artificielle. Plutôt que de se mettre entre nous, elle pourrait nous permettre de voir les intelligences qui nous entourent depuis toujours. Cette intelligence artificielle peut rejoindre le choeur croissant de voix, de pensées, d'actions et d'agences qui nous entourent à tout moment, si seulement nous choisissons de nous arrêter et de les écouter. »
Pierre Vanni
Hugo Ruyant + Margaux Dinam
VISTA
MLAV.LAND
Guilhem Prat
Valentin Maynadié
Stéphane Buellet, Yoann Mendiela
Aurélien Brigaud + Antoine Jarno + Romain Marc
VISTA
E+K, Chloé Argentin, Élise Le Quément, Quentin Croisard
Queenie F. Charles + Franck Miquel
ENSAD Nancy